mardi 11 octobre 2011

Droit de lecture selon Albanel : ma peur est bleue comme une Orange


Je viens de tomber sur un article de Numerama, évoquant les propos de Christine Albanel, madame communication et stratégie des contenus chez Orange :
La littérature par Orange : Albanel parle "d'acheter un droit de lecture"
Il en est également question sur le site PC INpact et ActuaLitté.


Droit de lecture VS Liberté de lire 

1er point : 
Pour Madame Orange, la lecture est un droit. Or j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'une liberté.
Revenons rapidement sur ces deux termes.

Le droit [1] :

Le droit est donc édicté par une entité (la société, l'Etat). Il émane de quelqu'un, de quelque chose d'extérieur à Madame Jelissijeveux. Elle est obligée de s'y soumettre.

La liberté [2:

La liberté est la possibilité de pouvoir agir selon sa propre volonté, de ne pas être soumis à une contrainte. Si Madame Jelissijeveux a envie de lire, elle le fait !
On nous apprend à lire depuis tout petit, nous en avons besoin pour travailler, remplir les paperasses administratives qui rythment notre vie, etc. Bref, pour s'insérer et évoluer dans la société, la lecture - tout comme l'écriture - est indispensable. D'ailleurs, 
"La liberté de lire est un instrument essentiel de la vie démocratique." [3]
Certains se souviennent de la campagne "Libre de lire", qui allait à l'encontre de la censure. Il n'y était pas question d'avoir le droit de lire, mais de la liberté de lire, et qui plus est de lire ce que l'on veut. Le slogan pourrait d'ailleurs être repris ici. 




Au nom de quoi voudrait-on nous brider ? nous empêcher de lire ?
Au nom de quoi voudrait-on nous freiner dans notre développement ? dans notre soif d'évasion ? 
Au nom du fric, toujours et toujours plus de fric. Christine Albanel a par ailleurs déjà montré qu'elle se souciait plus de l'intérêt des grands groupes que des consommateurs. Ca me fait toujours bizarre de voir des firmes n'ayant rien à voir avec le milieu du livre chercher à prélever sa petite part...

J'en arrive donc au 2ème point :
Pour Madame Orange, ce droit pourra s'appliquer moyennant monnaie sonnante et trébuchante.
Après avoir fait payer à notre cher lecteur un contenant, puis un contenu, il faudrait qu'il remette la main au porte-monnaie pour avoir accès à l'acte même de lire.
Payer Orange pour consulter un livre selon ses conditions (un 2ème Amazon qui pue le DRM), ça craint franchement... Encore plus si on le paie pour exploiter nos données de lecture.

Le droit à la lecture... Mais à quelle lecture ? 

Quels sont les types de texte qui seraient soumis à ce droit ?
Sur quels critères peut-on établir ce qui est digne ou non d'être soumis à un droit de lecture ?

Le but de Madame Orange est-il de creuser un fossé entre "ceux qui ont les moyens et qui pourront lire", et "ceux qui n'ont pas ces moyens et... tant pis pour eux" ? A moins qu'elle ne veuille détourner les gens de la lecture tout court ?

La lecture est partout ! On peut lire des articles de presse en ligne, des billets de blogs, en faire une sélection et les éditer sous forme d'ebook. Faudra-t-il payer pour ça ? Quant aux films sous-titrés, il est aussi question de lecture. Y aura-t-il un surcoût lié à une fonction sous-titre ? Faudra-t-il aussi payer pour avoir le malheur d'égarer ses yeux sur les pubs des magazines ? Bon je sais que j'exagère peut-être un peu, mais leur connerie peut aller bien plus loin qu'on ne le pense.

Sur quoi serait défini ce droit de lecture ? 
  • Au nombre de mots, de pages lus
Bon courage avec les formats numériques comme l'epub, où en fonction des paramètres d'affichage le nombre de pages est fluctuant. De plus, qui dit que les pages feuilletées seront réellement lus ? J'aime bien faire passer les pages, histoire de voir la structure du texte, s'il contient des illustrations, etc. Je survole, attrape une phrase ou quelques mots par endroit, mais ce n'est pas pour autant que j'ai lu ces pages.
  • Au temps passé à lire
On a en mémoire les propositions plus ou moins étranges de modèles économiques évoquées sur L'Actu des ebooks ou CNET France. Facturer sur le temps de lecture présente de nombreux inconvénients :
    • Un gros lecteur sera plus avantagé par rapport à un lecteur occasionnel.
    • En fonction du contenu, le temps de lecture ne sera pas le même. On ne lira en effet pas à la même vitesse un Nothomb, un essai philosophique et un manuel de codage informatique. 
    • Si je veux relire un livre, devrai-je repasser à la caisse ? Ce n'est pas pourtant pas le cas du livre papier...
    • Si je laisse mon livre (papier) ouvert, par exemple pour aller me faire un café, rien ne me sera facturer en plus. Quid du livre numérique ? Faudra-t-il, dès qu'on quitte notre écran, fermer l'ebook en cours ou l'application de lecture, et tout rouvrir après ? Pas terrible...
    • Si mon temps de lecture est écoulé (dans le cas d'un abonnement X heures par mois), serai-je surfacturé ? Devrai-je interrompre ma lecture le temps d'avoir encore de l'argent à dépenser ?
    • Si en cours de lecture je me rends compte que la facture est trop élevée (à condition bien sûr que cet élément soit mentionné, sinon ce sera la surprise et la possible désillusion à la fin de la lecture), vais-je arrêter mon livre ? Quelle frustration... Cela risque de provoquer une forme de "lecture express", entraînant une désaffection pour la lecture.
  • A la qualité du texte lu ? Closer moins cher que le Monde, la populace va sûrement s'enrichir intellectuellement...
  • Aux fonctionnalités qu'on souhaite ? Pourquoi pas tant qu'on y est surfacturer un droit d'annoter, un droit de le prêter, etc...
Mon livre papier, je l'ouvre, le feuillette, le lis, le relis X fois, l'annote, le prête, le déchire, le jette, le vend, le donne,... Bref, j'ai la liberté d'en faire ce que je veux, et qui plus est anonymement, et je veux qu'il en soit de même avec un ebook.

Les seuls droits que j'accepte portent non sur l'acte même de lire, mais sur le contenu de ma lecture, le texte lui-même, et non ceux d'un accès à ce texte :

La déclaration des droits de l'utilisateur de livre numérique
Les 10 droits du lecteur selon Daniel Pennac, dans Comme un roman.

Le droit de lecture appliqué aux bibliothèques :
"Tout citoyen doit pouvoir, tout au long de sa vie, accéder librement aux livres et aux autres sources documentaires." [4]
On prône une égalité d'accès à la culture, à la lecture (un accès tout court d'ailleurs). Mais avec un modèle comme Madame Orange le propose, il y a peut-être des raisons de s'inquiéter (à moins d'une exception pour les bibliothèques).
Si les bibliothèques sont sujettes à ce droit de lecture, les coûts pour proposer des ebooks à leur public vont encore augmenter.
Quant aux lecteurs, devront-elles leur facturer un abonnement en fonction de la quantité de livres lus ? Comme pour EDF, on fait une estimation et on réajuste au bout de quelques mois ? Au lieu de les faire lire davantage, c'est l'effet inverse qui se produirait !

Madame Albanel, vous avez la liberté d'expression, mais aussi le droit... de vous taire, et de garder ces pensées liberticides pour vous. Je vous prie d'agréer ma sincère rancoeur...

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